« Au nom du sens, on s’oublie » : quand le burn-out frappe les jeunes des métiers à impact
- samedi 9 décembre 2023
- Edmée Citroën
Quête de sens, leadership, impact ou encore santé mentale: tour d’horizon des sujets qui animent les jeunes actifs avec Claire Petreault, fondatrice des Pépites Vertes. L’organisation vise à booster la carrière des jeunes dans les métiers à impact.
Quand et pourquoi as-tu décidé de monter Les Pépites Vertes ?
J’ai d’abord travaillé dans plusieurs boîtes de la transition avant de lancer la mienne, dans l’agriculture et l’alimentation (La Ruche Qui Dit Oui) dans les déchets et dans l’événementiel (changeNOW). Puis j’ai lancé en 2020 les Pépites Vertes, qui a pour mission de propulser les jeunes talents de la transition écologique grâce à un média d’une part et à un programme talent d’autre part.
Aujourd’hui, on forme encore les jeunes à des métiers qui ne vont plus exister demain. Je trouve ça très flippant. Je ne comprends pas qu’on continue à illustrer le succès et la réussite par le parcours classique d’orientation : cabinet de conseil en stratégie puis M&A. Je me suis dit qu’on ne racontait pas les bonnes histoires. Or, je suis passionnée de communication et médias et j’aime raconter les histoires ! J’ai donc décidé de créer un média d’orientation vers les métiers verts.
Comment s’articulent les deux activités que vous menez aux Pépites Vertes ?
Nous avons deux audiences. Il y a des talents qui cherchent un emploi à impact : on les aide à se projeter dans ce type de carrières grâce à une page où l'on référence les offres d’emploi de ce type.
La deuxième cible, ce sont les talents en poste dans les ONG, grands groupes, startups ou associations. On les accompagne afin qu’ils soient plus impactant et percutant avec leur hiérarchie grâce à la Pépite académie.
L’idée de ce programme, c’est d’aider les jeunes à garder leur engagement dans le temps et à éviter le burn-out et la démotivation. Parce qu’au nom du sens, on s’oublie.
J’ai le sentiment qu’on est une génération pleine de potentiel, qui a envie de travailler et d’avoir de l’impact mais qui est sous-potentialisée dans son job. Sans être décideurs, les jeunes doivent avoir de l’impact dans leur travail. On les aide pour ça. Il faut qu’ils travaillent dès maintenant leur leadership, même à 25 ans. Il faut arriver à créer des espaces de discussion avec ses managers et CEO pour avoir plus de responsabilités et d’écoute.
Passer d’une posture de colère à une posture de coopération
Comment fait-on ?
D’abord, il y a la posture. Et la stratégie, la gestion des émotions et la confiance. Il faut surtout écouter pour être écouté et travailler ses « intentions » quand on veut s’adresser au ou à la boss.
Il faut arriver à passer d’une posture de colère vis-à-vis des gens qui ne vont pas assez vite à une posture de coopération. On a des convictions dans nos tripes et c’est normal, mais malheureusement si on ne les raconte pas bien, ça ne prend pas.
Je crois qu’il faut créer des espaces communs : à la Pépite Académie il y a 50 autres personnes qui ont la même colère et énergie que soi. Cela permet de déposer cette colère dans le groupe. Car si on la ramène face à son boss, ça ne peut pas marcher !
On se demande qui peut aider qui et comment ensemble, on prend nos responsabilités face aux urgences environnementales et sociales.
Face à un PDG, on essaie de comprendre ce qui est compliqué pour lui et comment on peut l’aider.
Tu dis souvent qu’avoir un métier qui a du sens ne rime pas forcément avec bonheur au travail…
Tout à fait. Il y a beaucoup d’émotions derrière la génération que je représente qui veut s’engager dans son travail. Face au changement climatique, on commence par une grosse peur, puis ensuite vient une immense tristesse « comment a-t-on pu faire ça ? ». La colère arrive après, en mode Greta Thunberg - qui n’a pas que de la colère en elle, je l’adore !
Ces étapes émotionnelles sont souvent comparé au deuil. Moi, j’essaie d’aller jusqu’à la joie et l’excitation : on a un nouveau rôle a jouer dans cette crise multidimensionnelle.
Quand on travaille dans un métier à impact, il y a cette impression d’urgence qui dit « il faut y aller maintenant, on a 3 ans pour changer ». Et donc, certains ne comptent plus leurs heures, ont l’impression de sauver le monde. À ce moment-là, on n’oublie que l’on est… personne ! Je dis toujours aux gens : si vous vous arrêtez, la terre n’arrêtera pas de tourner.
Il y a un an, j’étais épuisée, c’était ma première année d’entreprenariat, je staffais mon équipe depuis mon lit, je me suis jurée que « plus jamais. » Aucun travail ne mérite dans le monde qu’on ne puisse plus se lever de son lit.
Il faut se créer des conditions pour être résilient dans son engagement, car on n’est qu’au début. On est partis pour des longues années pour essayer de maintenir solidarité et justice sociale face à la catastrophe climatique.
C’est quoi l’éco-anxiété ?
L’anxiété s’incarne par rapport à un futur incertain, quelque chose sur lequel on n’a pas la main. L’anxiété va dans le corps, c’est différent de la peur, qui est liée à la connaissance de quelque chose. L’anxiété est davantage liée à un manque d’information et donc un manque de passage à l’action. Parfois, on alerte sur le terme éco-anxiété, car il ne faut pas rester coincé dedans. Pour passer au dessus, il faut proposer un autre futur.
Tu dis souvent qu’il faut détabouiser la santé mentale. Comment oeuvres-tu pour ça, au sein de ta structure ?
Mes rendez-vous chez le psy sont affichés dans mon agenda professionnel. À l’époque où je bossais en entreprise, si j’avais eu accès au calendrier de mon boss et que j’y avais vu un créneau psy, j’aurais considéré que c’était une pratique normale. J’ai mis une éternité avant de m’autoriser à prendre rendez-vous chez un psychologue. Alors, en l’affichant dans mon agenda, je mets dans la tête de mes collaborateurs que c’est normal, c’est ok, c’est possible et je crois que ça les autorise à consulter si ils en ressentent le besoin.