Comment créer un processus de recrutement "juste" aux yeux des jeunes diplômés ?
- mercredi 27 novembre 2024
- Auguste Dumouilla, Chercheur en psychologie de l'orientation professionnelle chez JobTeaser
Le recrutement est marqué par des tensions : ghosting et pratiques douteuses. Une expérience juste et transparente est clé pour renforcer la marque employeur.
Ces dernières années, le marché du recrutement est devenu une véritable jungle, tant pour les recruteurs que pour les recrutés.
D’un côté, on trouve des entreprises qui rencontrent de plus en plus de difficultés à pourvoir leurs postes vacants sur de nombreux métiers en tension. Et quand ils trouvent la perle rare, les recruteurs doivent parfois faire face au ghosting. Cette pratique peu appréciable, qui a d’abord émergé dans le monde du dating, frappe aujourd’hui celui du travail. Les talents, conscients de leur pouvoir, peuvent aujourd’hui cesser soudainement de répondre aux communications pendant le processus de sélection. Une situation qui, selon la dernière étude Expérience candidat : regards croisés Gen Z & RH, menée de consort par le Gen Z Lab JobTeaser et l’EDHEC Business School, touche 76 % des employeurs !
Mais de l’autre côté, la situation n’est pas beaucoup plus reluisante. Les jeunes diplômés et étudiants ont aussi des doléances, notamment le manque d’inclusivité et de diversité des offres d’emplois ou les injustices en tous genres autour des pratiques peu scrupuleuse des recruteurs. On pense par exemple à l’annonce “peu conventionnelle” de Lydia qui a déclenché la polémique sur LinkedIn. Mais aussi, à la parodie de très mauvais goût de The Voice réalisée par Pôle emploi. Ou encore, au cas de la marque italienne Carpisa conditionnant l'octroi d’un job à l’achat de l’un de ses sacs.
Au-delà de ces exemples, les candidats sont eux aussi parfois victimes de certains recruteurs indélicats, qui n’hésitent pas à abruptement stopper leurs communications en plein processus de recrutement. Selon l’enquête Expérience candidat : regards croisés Gen Z & RH, 86 % des jeunes déclarent avoir déjà été ghostés par un recruteur.
Pourtant, l’expérience de recrutement est un reflet de l’entreprise. Plus important : c’est la première impression que cette dernière fait à ses potentielles recrues - une impression ayant des répercussions dans la durée, que le candidat soit recruté ou non.
Il est donc essentiel de la soigner et de s’assurer qu’elle soit perçue comme la plus juste et équitable possible par les candidats. Mais pourquoi - et comment - s’y prendre pour mettre en place des processus plus vertueux et booster sa marque employeur ? Éléments de réponse dans cet article.
Pourquoi créer un processus de recrutement juste ?
L’un des principaux déterminants de la marque employeur d’une entreprise est l’expérience candidat.
Ici, on ne parle pas tant de l’expérience telle qu’elle est conçue et perçue par l’employeur, mais plutôt de la manière dont elle est perçue et ressentie (puis partagée) par les talents.
La sociologue Jacqueline Feldman propose un modèle pour l’appréhender. Selon elle, la phase de socialisation (correspondant aux premiers contacts entre l’individu et l’entreprise) commence bien avant la signature du contrat de travail. Elle se matérialise en effet à travers la marque employeur, l’image que le candidat se fait de ce que sera son travail au sein de l’organisation.
Ainsi, dès qu’un jeune diplômé commence à chercher du travail, il exprime des attentes, formule des espoirs sur son futur emploi. Autrement dit, il se crée une représentation anticipée de son emploi. Et c’est précisément cette représentation qui va motiver ses recherches, le pousser à postuler à une offre, à donner suite à des échanges.
À partir des informations qu’il récolte (notamment dans l’offre d’emploi, les techniques de recrutement utilisées, ses premiers échanges avec le recruteur, les observations qu’il fait pendant ses entretiens, la marque employeur, etc), le talent va chercher à s’assurer que ce que lui propose l’entreprise correspond au maximum à sa représentation anticipée.
C’est ce que l’on appelle la socialisation anticipatoire (Delobbe, 2011) - elle peut être influencée à deux moments clés :
- à travers la promotion d’une marque employeur authentique et alignée avec les valeurs de l’entreprise ;
- en créant les conditions d’une expérience candidat positive durant le recrutement, en offrant par exemple un welcome "pack recrutement” ou en briefant le candidat sur les étapes de sa candidature.
Parmi les éléments essentiels, la perception de justice dans les modalités de recrutement est particulièrement importante. La justice sociale est en effet une des valeurs fondamentales des membres de la Gen Z. Les jeunes candidats seront donc particulièrement attentifs à l’impartialité des processus de recrutement qu’ils suivent. Raison de plus pour les recruteurs de s’assurer que leur expérience candidat est équitable et renvoie une image positive à chaque potentielle recrue !
Les 6 principes de Leventhal, pour rendre son processus de recrutement plus équitable
Lorsque l’on parle de justice dans le cadre du recrutement, on ne renvoie pas uniquement au respect des lois en matière de gestion des ressources humaines. Il s’agit plutôt des éléments que peut implémenter l'entreprise pour que ce dernier soit perçue comme plus équitable par les candidats.
Cela passe notamment par le questionnement de la part des responsables RH de la notion de “justice” dans le processus de recrutement.
Les opportunités offertes par l’entreprise sont-elles en lien avec les valeurs de justice sociale et d’équité des talents ? L’offre d'emploi est-elle formulée de manière à ce que la plus grande variété possible de profils se sentent légitimes à postuler ? Les informations partagées sur la culture de l’entreprise présentent-elles une organisation dans laquelle chacun peut trouver sa place et s’épanouir ?
Pour s’assurer que votre procédure de recrutement soit perçue comme juste par les candidats, vous pouvez vous référer aux 10 principes de Gilliland. Développés en en 1993, ils balisent les grandes règles à respecter pour qu’une procédure décisionnelle (ici le recrutement) soit perçue comme juste.
Les recruteurs sont ainsi invités par Gilliland à questionner leur processus de recrutement, en vérifiant s’il respecte les principes de perception de justice suivants :
- La transparence sur le processus de recrutement : donner un maximum d'informations en amont sur le processus de recrutement (quand, comment, qui, pourquoi, combien, etc.).
- Même conditions et évaluations pour tous : les candidats doivent tous être évalués de la même façon avec les mêmes procédures et dans les mêmes conditions.
- La pertinence du processus par rapport au poste à pourvoir : si je postule à un poste de Chef de projet, je m’attends à ce que les questions et mises en situation tournent autour de ma capacité à gérer un projet. Les outils d'évaluation sont perçus comme efficaces et adaptés.
- Laisser l’opportunité aux candidats de montrer leurs points forts : faire des entretiens en s’assurant dans sa grille de laisser la parole aux candidats. Par exemple, laisser la porte ouverte, à la fin avec une question du type : “Avez-vous des informations en plus que vous voudriez nous communiquer qui pourraient appuyer votre profil ?”.
- La bienséance des questions : les questions ne portent pas préjudice aux candidats. Elle ne sont pas inappropriées (e.g. atteinte à la vie privée, respect de la loi, etc.).
- La bienveillance du recruteur : la personne chargée du recrutement est perçue comme bienveillante, communique avec respect, chaleur et empathie durant l’entretien. Ces éléments favorisent la perception de justice du processus.
- Le feed-back régulier : donner un retour dans un délai raisonnable sur les performances réalisées durant l’évaluation.
- L’honnêteté : les explications fournies et la communication établie avec les candidats doivent être perçues comme sincères et honnêtes, spécifiquement lorsque le candidat est rejeté.
- Communication avec les parties prenantes : laisser l’opportunité pour le candidat d’avoir un échange avec les personnes rencontrées dans le processus de recrutement, de pouvoir poser des questions et d’obtenir des réponses.
- Possibilité de reconsidération : la procédure de recrutement permet de revenir sur une décision erronée afin de la modifier ou de la corriger.
L’idée, ce n’est donc pas seulement de respecter ces principes, mais de communiquer sur les moyens qui sont mis en œuvre pour s’assurer de leur respect aux candidats.
Vous pouvez ainsi communiquer sur vos critères de sélection, partager des feedbacks constructifs aux talents qui n’ont pas été retenus, etc. L’essentiel est de faire preuve de transparence vis-à-vis de l’organisation et de chacun.
Votre processus de recrutement sera en effet perçu comme juste s’il est transparent, pertinent, et s’il permet à chaque candidat de s’améliorer - voire de bénéficier d’une seconde chance.
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