AccueilLe Gen Z Lab« Écologie, crise sanitaire : la génération Z impressionne par sa capacité de résilience. »

« Écologie, crise sanitaire : la génération Z impressionne par sa capacité de résilience. »

  • lundi 1 février 2021
  • Noémie Baudouin

Engagement, recrutement, aspirations ou encore quête de sens : découvrez « ce que veut la génération Z » au travers du regard vivifiant de Claude Monnier, DRH du groupe Sony Music.


Comment vois-tu la jeune génération? Que perçois-tu d’elle en termes de codes, d’attentes ? 


“Je la vois très adaptable, pugnace, elle m'impressionne par sa capacité de résilience. C’est souvent un terme que l’on utilise pour des générations plus âgées. Les attentats, la crise écologique, la crise sanitaire, sont des moments forts dans leur existence et cette génération y trouve souvent des réponses collectives, créatives. Ils sont dans un droit d’inventaire par rapport à ce qu’on est en train de leur léguer. Je les trouve très précis dans leur communication sans pour autant surjouer le fait que c’est une génération sacrifiée : ils ne surcommuniquent pas et ne sont pas dans la complainte. 

Ils sont aussi intéressants à écouter lorsqu’ils font une analyse comparative entre ce que l’éducation leur offre, en opposition à ce qu’ils ont développé par eux-mêmes (nouvelles technologies, savoir-être). J’ai une réserve sur ma capacité à comprendre cette génération, car le monde dans lequel ils vivent évolue très vite, et eux aussi. Leur appréciation d’une temporalité courte, intense, rapide est plus développée que ma capacité à comprendre les changements. C’est comme si on marchait sur deux tapis roulants qui ne vont pas à la même vitesse. La vraie limite générationnelle est surtout liée pour moi à cette vitesse relative, et moins à des codes différents.


Et dans son rapport au travail, que penses-tu de la génération Z ?

La recherche de sens qu’on leur attribue systématiquement est vraie dans une certaine mesure, mais ce serait manquer de respect aux plus de 30 ans que de dire qu’ils ont travaillé sans la moindre attente sur ce sujet. Il y a autant de vérités que d’individus, certains n’ont pas trouvé le job de leur rêves mais ont des obligations économiques, financières, qui font que leur choix, leur relation au travail est contrainte. La relation au travail de la génération Z m’interroge sur un point : leur capacité à travailler en collectif, qui est intéressante par rapport aux enjeux des sociétés dans lesquelles nous vivons. Cette réorganisation du travail en collectif interroge aussi le modèle d’organisation de l’entreprise. 


Que faut-il faire pour donner envie à cette génération de venir travailler dans son entreprise ?

Pour avoir eu la chance de côtoyer cette génération pour différents projets, au travers de différentes institutions, ils ont leur propres moteurs. Je me garderai bien de projeter mes propres leviers sur leur engagement, leur implication, leur motivation. On doit par principe leur faire confiance sur leur capacité à comprendre les enjeux d’une situation. Comme ils ont un parfait sens de la temporalité, quand ils ont un vrai enjeu, ils ne procrastinent pas beaucoup. Par exemple, plein de jeunes se sont rassemblés sur tous les continents sur la question écologique. Ils ont mobilisé plus d’énergie en quelques mois sur cette question que la génération précédente en 10 ans. Je n’impose donc pas de moteurs, j’essaie de travailler sur le lien avec la génération précédente plus que sur son rapport au travail. Mettre au travail fait penser à une notion de contraintes, de livrables. Je pense que cette génération a suffisamment de talent pour qu’on la mobilise sur d’autres choses, dont la créativité.

J’ai l’impression que tu te mets en quatre pour recruter de façon innovante. Peux-tu me parler de tes projets “Talent Factory”?

Chez Sony Music, nous avons quitté les processus de recrutement très outillés, armés, industrialisés (avec CV, lettre de motivation, 3 entretiens, prises de références, des tests techniques). Je ne porte aucun jugement de valeur sur ce qui a été fait auparavant. Cependant, avec ces processus, on regardait dans le rétroviseur, s’intéressant à ce que la personne avait fait avant. On cherchait aussi une réassurance sur un socle académique bien en place. En France, le poids du diplôme et de l’expérience mène parfois à des contradictions quand on recrute des jeunes talents. 

Aujourd’hui, dans l’industrie créative et culturelle, je constate que le savoir académique n’a aucune valeur marchande dans mon quotidien d’entreprise, et que les savoir-faire s’apprennent plus dans le poste qu’à l’école. 95% de la performance et de l’épanouissement d’une personne est une question de savoir-être. C’est d’ailleurs l’enjeu du recrutement : savoir si ça va marcher avec un individu que l’on n’a jamais rencontré. Ce n’est pas parce que ça a marché 6 mois avant dans une autre structure que ça sera forcément le cas après. Nous avons cherché à sortir de l’entretien en face à face qui était empreint de subjectivité et de projections et créé des dispositifs pour permettre aux candidats d’exprimer leur savoir-être dans sa dimension future.

Concrètement, la Talent Factory c’est :

  • entrer en contact avec la nouvelle génération dans leur univers culturel par du contenu qui leur parle (au lieu d’une offre d’emploi classique),
  • les candidats envoient une vidéo de 60 secondes pour exprimer leur passion, 
  • un processus décisionnel inversé est mis en place avec un système d’assessment des candidats par eux-mêmes. Ils votent pour ceux qu’ils pensent être à même de réussir dans le poste proposé.

Quand on intègre des profils créatifs de la nouvelle génération, au-delà de leur capacité de travail, ce qu’on cherche, c’est qu’ils soient des vecteurs de changement eux-mêmes. Des sources d’inspiration, d’innovation, de conduite de changement de l’entreprise dans son ensemble. Ils permettent que l’organisation soit apprenante. On a tous lu de nombreux livres sur l’entreprise de demain, la digitalisation, la créativité, le transversal… mais si on ne recrute pas de jeunes, on passe à côté de quelque chose qui a beaucoup d’impact. 

Nous avons reçu 60 000 candidatures lors du 1er tour, et ceux qui se sont retirés ou se sont fait éliminer par d’autres candidats ont continué à s’impliquer dans le processus jusqu'au bout. Dans la nouvelle version de la Talent Factory, nous sommes même dans une logique de recrutement collectif. Un pool de talents se constitue, définit ses expertises, avec à la clé un contrat de travail unique pour une équipe multiple, ce qui nous amène de nouveaux défis en matière de droit social. Nous pensons que cela correspond aux attentes d’aujourd’hui, en interrogeant l’amont de la chaîne (comment rencontrer les talents) mais aussi l’aval (quelles modalités pour quel contrat ?). C’est un projet expérimental que nous avons lancé d’abord avec un groupe test, et auquel la jeune génération répond très bien.


Quel conseil donnerais-tu à des RH pour avoir une approche moins traditionnelle ?

Voici mes observations : la fonction de DRH doit se décentrer, changer de posture par rapport aux problématiques de recrutement. Quand on est DRH, on commence à avoir un certain âge : sommes-nous toujours sensibles au recrutement de jeunes talents (je ne parle pas de recrutements expérimentés) ?

Les processus de recrutement ont souvent été asymétriques, et je proposerais de rétablir une symétrie dans la relation. Elle est un des facteurs clés de succès qui permet au candidat d’être le plus authentique possible. A partir du moment où on cache des choses, on ne fait qu’augmenter le risque qu’à la fin, le processus soit un échec. 

L’authenticité dans le processus de recrutement permet-il de s’affranchir des codes habituels de recrutement ?

Je le crois, il suffit de voir la place de l’échec dans un CV. C’est rare de parler de ses erreurs. Sur des cycles courts, il y a forcément des choses qui n’ont pas fonctionné. En tant que DRH, il faut savoir prendre du recul et n’intervenir que plus tard dans le processus de recrutement. 


Selon toi, quel va être l’impact de la crise sur les jeunes talents ? Cela va-t-il accélérer un clivage social ? 

Cela dépend des secteurs. Dans certains secteurs, seuls certains postes seront disponibles donc on risque d’avoir une réaction de protection, avec des processus très armés, pour vérifier que l’on ne se trompera pas. Il y a des secteurs d’activités où les RH vont répartir les rôles différemment entre candidats, managers et RH, et répartir la prise de décision. Je ne crois pas qu’une décision puisse reposer sur les épaules d’une personne. Personne ne connaît les facteurs exogènes qui vont impacter les entreprises dans le futur. Nous sommes dans un environnement, une société faite d’incertitudes. Pour la fonction RH, cela pose une vraie dissonance cognitive, mais c’est au coeur de notre métier. La nouvelle génération est bien armée pour répondre à cette incertitude, s’intéressant plus à la valeur qu’au prix des relations ou des choses. 

Propos recueillis par Anne-Claire Long, Head of Communication chez JobTeaser.