Futur du travail : « il faut dé-bureaucratiser les entreprises et traiter les adultes en adulte. »
- samedi 10 février 2024
- Edmée Citroën
Quels sont les leviers pour répondre à la quête de sens des collaborateurs ? Comment appréhender les compétences en plein essor de l'IA ? Rencontre avec Alexandre Viros, président de The Adecco Group France et dirigeant de l’association Dialogues.
Quelle est la différence entre emploi et travail ?
Pour moi l’emploi désigne la fonction que vous occupez et vos missions. C’est ce qui correspond, pour caricaturer, à la fiche de poste. Le travail, c’est ce que vous faîtes au quotidien, sur une année et les buts que vous atteignez.
Ce à quoi on doit s’intéresser aujourd’hui, c’est une trajectoire professionnelle, c’est comment vous vivez votre quotidien, l’impact que vous avez sur les tâches qui vous incombent. Vous n’êtes pas juste là à réaliser des tâches qui vous sont confiées.
On n’est pas obligés d’avoir un job à impact pour trouver du sens dans son travail
Qu’est ce qu’une entreprise qui a du sens ?
Il y a des entreprises qui intrinsèquement ont une mission chargée de sens, celles qui protège l’environnement ou sont teintées d’une mission sociale par exemple. Je crois qu’il faut regarder les choses avec plus de profondeur. Une entreprise qui a du sens, c’est une organisation qui donne à ses collaborateurs du sens dans le travail qu’ils exécutent chaque jour.
Vous pouvez travailler dans un entrepôt, être magasinier pour une entreprise qui fait quelque chose qui est une commodité. Si vous prenez son entreprise jumelle, peut être que dans la première, le mode de management fera que les salariés se diront « j’y vais, j’y crois, ça a du sens, je suis fier d’avoir fait un bon travail » mais pas dans la deuxième.
Le sens n’est pas corrélé à la mission de l’entreprise. On n’est pas obligés d’avoir un job à impact pour trouver du sens dans son travail.
Arrêter avec l’idée qu’on est propriétaire de son salarié
Quels sont vos conseils aux employeurs pour réinjecter du sens ?
Débureaucratiser. Les entreprises se sont bureaucratisées depuis une cinquantaine d’années pour des raisons qui se comprennent - il fallait mettre des processus et des reportings là ou il en manquait et où les choses étaient trop approximatives.
Aujourd’hui, il faut redonner de l’autonomie aux équipes, donner confiance à tous les collaborateurs, traiter les adultes en adulte. Il faut comprendre qu’un salarié ce n’est pas un baton dont on est propriétaire, mais un individu qui se développe. Un jeune qui rentre sur le marché du travail va avoir quinze employeurs dans sa vie. Il faut arrêter avec l’idée qu’on est propriétaire de son salarié. C’est une relation contractualisée, qui est très saine, car elle permet de dire ce qui est OK et ce qui ne l’est pas.
Quel regard vous portez sur l’hyper-individualisation des collaborateurs qui exigent différents modes de travail ? Comment préserver le collectif dans ce contexte ?
C’est une question d’équilibre. On est dans une ère de l’invidualisation - pas seulement au travail - où les gens veulent écrire leur propres règles et définir leurs propres identités. Il faut que les entreprises répondent à cette demande.
D’un autre coté, une entreprise ne peut pas être une collection de freelances. Il faut qu’il y ait une culture et un esprit collectif. Cela révolutionne complètement les modes de management. Avant quand vous aviez une présence physique, ça se créait de manière automatique. Aujourd’hui, il y beaucoup de pressions sur les managers, surtout avec le télétravail.
En quoi les choses ont-elles changé pour les managers ?
Dans le monde du travail physique, les managers reçoivent l’énergie des équipes, alors qu’avec le télé-travail, le manager doit donner son énergie aux équipes, pour assurer par exemple que la réunion n’est pas simplement un suivi de projet, etc.
Apprendre à apprendre et à désapprendre
Vous dites que les compétences ont changé : avant c’était du stock et maintenant c’est du flux. C’est-à-dire ?
Pendant les années 80, pour un poste donné, on considérait que vos compétences duraient à peu près 40 ans, même si vous étiez cariste dans un entrepôt.
Dans un monde marqué par la technologie et les changements environnementaux, les compétences changent en permanence.
Vous allez devoir apprendre à conduire un engin, puis le télé-conduire, le conduire avec un iPad, pourquoi pas mettre quelques lignes de codes et puis si chat GPT peut s’y adapter, il faudra être capable de prompter l’intelligence artificielle.
Là ou avant, vous répondiez à une offre d’emploi et cochiez un certain nombre de cases, aujourd’hui ce n’est plus tellement ça qui est important. Les compétences étaient un stock, aujourd'hui c'est du flux.
Il faut apprendre à apprendre, apprendre à désapprendre et se remettre en question en permanence. C’est une responsabilité de l’entreprise, de créer ce climat apprenant.
C’est quoi une entreprise apprenante ?
C’est une entreprise qui met au coeur de ses fonctions - et pas simplement en périphérie - l’apprentissage. C’est une organisation qui a un diagnostic des compétences régulier, qui met à disposition de ses salariés des outils de formation, qui accepte de considérer que la formation est un investissement et pas un coût. C’est une nuance très importante. Si vous dépensez en technologie, c’est considéré comme un investissement et dans votre compte de résultat, c’est indiqué ainsi. La formation - considérée comme un coût - donne l’impression qu’elle réduit et nuit à la rentabilité. Cette distinction financière a un grand impact dans la philosophie générale de la formation. C’est ça qu’il faut arriver à changer.