« Les meilleurs talents sont ceux qui se bougent » : le militantisme, nouvelle soft-skill à la mode ?
- mardi 5 septembre 2023
- Edmée Citroën
Chef de file de l’opposition étudiante contre les énergies fossiles, Louis Fidel est co-fondateur de HEC Transition. Pour lui « les étudiants engagés sont en train de gagner la bataille culturelle des écoles ». Interview.
Comment la fibre militante s’est-elle développée chez toi ?
C’est venu au fur et à mesure de ma scolarité à HEC. J’y ai compris assez tôt l’autoroute classique suivie par les étudiants : stages en conseil ou finance, soirées sur le campus, réseautage puis premier boulot à la Défense. Pour moi, ça n’était pas possible. Militer a donné du sens à mon parcours. J’ai réussi à construire l’idée qu’à HEC, on peut prendre d’autres routes sans pour autant être un zadiste aux cheveux longs. On est une trentaine à se mobiliser pour que notre scolarité évolue. Nous ne voulons pas seulement incarner l’écologie des petits gestes et des paniers bios, mais aborder de vraies questions : le financement de l’école et la formation notamment.
Votre premier cheval de bataille a été de faire changer la formation dispensée à HEC, jusqu'alors trop éloignée des préoccupations écologiques ?
Certains cours étaient très datés. Convoiter une séance sur la finance durable ça n’est pas difficile, mais questionner au sens large la place de la finance, la pression financière sur les entreprises, c’est impossible. Tels qu’ils existent, les cours forment des gens qui, face au changement, disent « c’est super dans l’idée mais ça ne marche pas comme ça ».
Au départ, l’administration et les professeurs étaient frileux « on n’est pas une école de militants, HEC n’est pas Sciences Po» nous opposaient-ils.
En macroéconomie, on a par exemple milité pour aborder la question du business dans un monde sans croissance. La vague écologique va frapper le monde des affaires, qu’on soit engagé ou pas, il va y avoir des problèmes d’approvisionnement en cascade, il faut s’y préparer.
Qu’en est-il de ton orientation professionnelle ?
Je suis allé naturellement vers le secteur public avec l’idée d’exercer les métiers de gestion et de finance qu’on m’a enseignés, tout en touchant à la question écologique. J’ai d’abord été en stage à la Caisse des Dépôts puis à l’Autorité des Marchés Financiers, où j’ai travaillé sur les normes environnementales du secteur de la finance, constatant là-aussi une certaine réticence face au changement. Rires. Je regarde d’abord la structure avant de regarder l’offre d’emploi.
Aux côtés des jeunes du réseau HEC Transition, vous militez pour la transition écologique des entreprises, l’un des axes est celui du repositionnement de la RSE (responsabilité sociale des entreprises) au sein des organisations.
La RSE ne devrait pas exister. C’est comme le ministère de la transition, on aura gagné le jour où il aura disparu. Il faut faire en sorte que la RSE ne soit pas que de la communication pour les entreprises mais au coeur de leur stratégie business.
Vous proposez aussi de réinventer les fonctions de gestion. C’est-à-dire ?
Il n’y a pas que la RSE. Toutes les fonctions de gestion doivent se réinventer au prisme du réchauffement climatique. Le marketing, la finance, la compta ou encore la supply chain, chacun de ces métiers doit se renouveler. La comptabilité, c’est un enjeu déterminant. Si Total est valorisé et marche aussi bien, c’est parce qu’ils ont de supers bilans comptables. Il faut une autre manière de compter les choses, c’est un défi technique très important.
"La comptabilité écologique doit faire fusionner les valeurs financière et non-financière de l’entreprise."
Il s’agit donc de développer de nouveaux indicateurs de performances incluant l’écologie et le social ?
Oui, mais il faut aller encore plus loin. Si à côté de ces indicateurs, la comptabilité reste comme elle est aujourd’hui, l’indicateur ne sera que le bonus. La comptabilité écologique doit faire fusionner les valeurs financière et non-financière de l’entreprise pour former une valeur finale qui sera la valeur de l’entreprise. Les organisations ont aujourd’hui une dette envers la nature, elles prélèvent beaucoup trop et rendent beaucoup moins.
Vous menez en ce moment une campagne de boycott contre Total pour s’opposer au mégaprojet EACOP du géant pétrolier en Tanzanie et en Ouganda. Quel est l’objectif de la campagne #StopEACOP ?
Le boycott a toujours été un moyen qui permet de mettre la pression sur les entreprises. C’est l’objectif de notre campagne. À terme, une entreprise comme Total doit penser la fermeture de son activité pétrolière, c’est notre objectif.
Il faut planifier la décroissance de certains secteurs - pas tous évidemment, le secteur de la santé, de l’éducation, de l’art par exemple doivent évidemment continuer a croître.
Si vous aviez une baguette magique, quelle mesure mettriez-vous en place dans les entreprises, en faveur de la transition écologique ?
Réduire la pression actionnariale vis-à-vis de la rentabilité. Cela permettrait aux entreprises de réfléchir davantage à la transition écologique. On demande aux organisations des taux de rentabilité extrêmement élevés, il leur faut faire remonter du profit à court terme, c’est très problématique quand il s’agit de repenser tout son business-model. Car, au moment où on le perturbe un peu, les actionnaires s’alarment et s’en vont. Il faut donc, je pense, réduire cette pression financière pour laisser les entreprises se poser et réfléchir.
Comme le dit l’ancien patron d’Amundi, c’est incompatible de demander 15% de TRI (taux de rentabilité interne) aux entreprises, quand elles doivent mener en même temps la transition écologique.
"Les étudiants engagés sont en train de gagner la bataille culturelle des grandes écoles."
Quel regard portes-tu sur le militantisme écologique étudiant ?
Dans le top des grandes écoles, se développe une génération très engagée qui est en train de gagner la bataille culturelle. Les étudiants les plus engagés deviennent le coeur symbolique de l’école et ne sont plus des huluberlus bizarres et isolés. Et je pense que ça n’est que le début, les générations Greta Thunberg vont arriver.
En ce qui concerne nos mobilisations à HEC, la moitié de la promo sont des « indifférents bienveillants ». Ils adhèrent sans se mobiliser directement, cette majorité silencieuse de sympathisants monte grandement. Et environ un quart de la promo est très engagée et surmotivée.
Je crois que, quand on s’engage on est plus intéressant et valorisable, c’est plus utile pour une entreprise d’avoir quelqu’un d’engagé. Les meilleurs talents vont être ceux qui vont se bouger. D’ici 5 ou 10 ans, ceux qui sont aujourd’hui étudiants vont accéder à des postes de responsabilité, ces réseaux qui sont en train de se construire vont commencer à peser.
Concernant la montée du militantisme, de plus en plus de gens sont prêts à s’exposer, à prendre ces risques-là, ça fait moins peur, ça devient plus « classique ». Ce combat donne aussi beaucoup de puissance et d’énergie.
Donc ce n’est plus subversif, le combat devient la norme ?
Non. Tout le monde n’est pas prêt à le faire. Mais ça se normalise.
Est-ce-que le militantisme ne permet finalement pas aussi de s’insérer professionnellement ?
À titre personnel, ce n’est pas ce que je cherche. Mais je crois que c’est effectivement beaucoup plus intéressant d’avoir participé à monter des projets. C’est un savoir-faire. Je pense qu’il s’agit de profils à la fois moins plats et davantage dans l’ère du temps. Militer ouvre des portes auxquelles on n’aurait pas pensé.
"HEC m’a permis de me politiser, par opposition."
Le militantisme est-il devenu une nouvelle soft-skill ?
Pourquoi pas. Je crois qu’à choisir, pour les recruteurs, c’est plus intéressant de choisir quelqu’un qui est prêt à faire bouger les lignes, qui a envie de changer les choses. Ce ne sont pas des profils classiques. Je crois que les meilleurs talents ce sont ceux qui se bougent.
Pourquoi as-tu fait HEC ?
En terminale, je n’étais pas comme je suis aujourd’hui. J’ai choisi de suivre une prépa commerciale car cette voie me semblait être équilibrée par rapport aux filières ingénieure ou littéraire. Comme beaucoup d’autres, en arrivant à HEC, je me suis demandé ce que je faisais là. Finalement, je suis assez content d’avoir fait cette école, ça ouvre plein de portes. On n’est pas obligé de se conformer, on n’est pas non plus obligé de tout quitter !
Comme d’autres étudiants du campus, HEC m’a permis de me politiser, par opposition. Je ne serais pas autant écolo, engagé et militant si j’avais fait autre chose. Ça m’a permis de constater l’indifférence du monde économique face au problème climatique. Je ne suis pas le seul, c’est un parcours plutôt classique à HEC. On se politise face à l’adversité.